Que pensez-vous de la situation actuelle dans les pays arabes ? Constitue-t-elle une amélioration ou un régression de la condition de la femme ?
Lorsque le mouvement de protestation a éclaté sur la place Tahrir en Égypte, je pensais, comme beaucoup d’autres, que ce pays embrasserait la laïcité. J’avais bon espoir. Mais les Frères musulmans, les islamistes, ont ensuite pris les rênes du pouvoir. Aujourd’hui, je suis vraiment déçue. La condition de la femme ne s’est pas améliorée. Les dictateurs s’en vont, certes, mais les islamistes prennent leur place. La situation est alarmante. Les laïcs devraient protester contre les islamistes et encourager et soutenir les dirigeants laïcs afin qu’ils remportent les élections, car les Frères musulmans et les islamistes ne peuvent pas garantir les droits des femmes. Ces droits et libertés ne sont en effet pas autorisés. La situation actuelle est décourageante, mais je suis optimiste quant à son amélioration.
Que pensez-vous de la situation en Turquie ?
Selon moi, le gouvernement turc a tendance à vouloir islamiser la société. Mais je suis optimiste. Je pense qu’une partie de la population est en faveur de la laïcité ou du kémalisme et veut contribuer à l’évolution du pays. Aujourd’hui, ces gens protestent contre le gouvernement. C’est bon signe.
Vous considérez donc que le printemps arabe est prometteur ?
Oui, tout à fait. Je ne pense pas que les musulmans modérés parviendront à changer la société. Je me demande d’ailleurs où sont ces musulmans modérés lorsque les islamistes émettent des fatwas contre les femmes. Ils ne les défendent pas. Ils sont soit islamistes, soit laïcs. Il n’y a pas de juste milieu. La guerre qui fait rage dans les pays musulmans sévit partout ailleurs. Le monde est divisé entre laïcité et fondamentalisme. Ce conflit oppose ceux qui ont un esprit logique et rationnel à ceux qui ont une foi aveugle et irrationnelle, ceux qui attachent de l’importance aux libertés et ceux qui ne le font pas. Il oppose innovation et tradition, avenir et passé, modernisme et barbarisme, humanisme et islamisme.
Certains musulmans vous accusent de confondre islam et charia.
La charia est la loi islamique, il n’y a donc aucune confusion possible. Je ne pense pas qu’il existe une réelle différence entre l’islam et le fondamentalisme islamique. La loi islamique date du VIIe siècle. Nous ne pouvons pas nous soumettre à une loi aussi ancienne. Pourtant, c’est ce que veulent les islamistes. Je m’y oppose, car la charia va à l’encontre des droits et des libertés des femmes. Nous avons évolué ; nous avons découvert l’humanisme. Aujourd’hui, nous réclamons un État laïc, l’égalité des genres, la démocratie. Nous, citoyens du XXIe siècle, sommes conscients de ce qui est profitable et de ce qui est nuisible à la société. La loi du VIIe siècle est trop ancienne. Elle n’est pas appropriée à la vie moderne, à notre époque. Nous ne pouvons donc pas, nous ne devons pas accepter cette loi appelée charia.
Vous dites que certains pays occidentaux ont peur de se voir cataloguer de pays islamophobe ?
Vous avez peur de critiquer l’islam parce que vous pensez que, ce faisant, vous seriez cataloguée d’islamophobe. Mais l’islamophobie est un concept créé par les fondamentalistes islamistes pour vous faire craindre d’être antimusulmans. Or, si vous êtes vraiment compatissants envers les musulmans, vous vous devez de lutter contre les pratiques dogmatiques de la religion musulmane. Sinon, vous êtes leurs ennemis, car leurs dirigeants leur imposent ces lois et ce système barbares. Certains me disent islamophobe, mais je ne le suis pas. Je critique la religion parce que j’ai énormément de compassion pour les musulmans. J’estime qu’ils devraient bénéficier de l’égalité, de la justice et qu’ils devraient pouvoir profiter de leur vie. Je ne suis pas contre les musulmans. Je les ai d’ailleurs soutenus à Gujarat quand ils étaient opprimés par les hindous. Je soutiens les musulmans palestiniens, tout comme les chrétiens pakistanais et les hindous bangladais, opprimés par les fondamentalistes musulmans. Je ne considère pas ces musulmans, hindous, chrétiens et juifs comme tels, mais comme des êtres humains, sans distinction de genre, d’origine ethnique ou de conviction religieuse. Je les défends car j’estime qu’aucun être humain ne doit être opprimé à cause de sa religion.
Comment alors combattre l’obscurantisme ?
Je n’ai rien contre ceux qui tente de réformer la société, mais je n’y crois pas : je crois en la révolution. Il ne faut pas faire de compromis avec ceux qui sont contre l’égalité des femmes. Une poignée de personnes éclairées peuvent faire bouger les choses : on l’a vu à plusieurs reprises au cours de l’Histoire.
C’est comme le blasphème : je revendique le droit au blasphème ! On a le droit de faire passer ses idées…
Dans une société misogyne, patriarcale, il faut refuser de courber la tête. J’ai écrit un poème qui dit notamment ceci : « Ils te disent : calme-toi, arrête de parler, assieds-toi, pleure. Quelle doit-être ta réponse ? tu dois te lever, te tenir droite, lever la tête, parler, parler fort, crier ! T’entendant rire, ils vont te dire : « Tu es une pute !  » Mets tes mais sur tes hanches, regarde-les en face et dit : « Oui, oui, je suis une pute !  » Les hommes vont devenir rouge et transpirer. Et les femmes parmi eux vont rêver d’être une pute comme toi !  »
Il faut être scandaleuse si l’on veut changer les choses !